mardi 4 septembre 2018

Zonz'

Lui, c’est à la fin qu’il m’a parlé.

Moi, c’était ma première lecture publique et ma première séance de dédicace. Ben oui, quand on veut être un auteur différent, on commence par une rencontre en prison, en zonz’, comme ils disent là-dedans. C’était un joli jour de printemps ensoleillé, un de ces jours où on irai volontiers courir la campagne. Moi, je m’enfermais volontairement en zonz’, avec eux. 

L’autre, c’est le premier qui a parlé. Beaucoup parlé, il était presque le seul, a parlé. Il me faisait bien comprendre qu’il n’était pas comme les autres, que dehors, il m’aurait couvert de mépris, moi le petit auteur débutant, le gagne misère de la création, l’ancien cancre qui gribouille du papier. Je sentais bien toute la violence contenue en lui. Celle de l’enfermement, du déclassement, celle d’un crime qui n’est pas le sien, normalement. L’erreur de classe. Il était le meneur et il donnait à cette rencontre la tournure qu’il avait décidé. Ici, il était devenu le Crac, le Mec, le Bonhomme. Il était le Taulier.

Les autres suivaient consciencieusement la direction qu’il leur avait donné, sans le dire, en m’attaquant de front. Moi, j’avoue que je n’avais pas envie d’un conflit ouvert, dans ce lieu fermé, alors j’esquivais, je pointais les incohérences et j’essayais de montrer que je comprenais sa révolte face à un nullard, mais un nullard libre, un nullard qui écrit, alors qu’ici on fermait sa gueule de force...

...et quand on lui a demandé ce qu’il faisait là, il n’a rien dit. Alors on en a fait un complice, un coupable, juste parce qu’il n’a pas dit le contraire...

Lui, il s’était assis un peu à l’écart des autres, l’exclu parmi les exclus. Lui, il ne disait rien, il avait l’air de ne jamais avoir rien dit depuis qu’il était né. Lui, il semblait toujours avoir été assis un peu l’écart, de n’avoir jamais rien dit. D’ailleurs, c’est probablement pour ça qu’il était là. Il devait être assis un peu à l’écart d’un truc pas bien et quand on lui a demandé ce qu’il faisait là, il n’a rien dit. Alors on en a fait un complice, un coupable, juste parce qu’il n’a pas dit le contraire... Et aujourd’hui, il s’était assis un peu à l’écart, il ne disait rien et j’aurais pu croire qu’il était complice de ma mise en pièce.

Et puis l’autre, voyant que son jeu ne m’intéressait pas, il fini par consentir que ce bouquin, il l’aurait vraiment détesté avant. Avant, quand il était dehors, quand il était sûr que ça ne lui arriverait jamais, quand il avait la certitude de ne jamais foutre les pieds en zonz’, mais que là, ici et maintenant, c’était insupportable de prendre en pleine gueule ce contenu qui décrivait si bien ce qu’est la vie de ces coupables, alors qu’en fait ce ne sont que les victimes d’un monde qui remplit les coffres et les zonz’ indifféremment. Que c’était insupportable de prendre en pleine gueule sa propre arrogance, celle d’avant, quand ils pensait qu’ici, on a que ce qu’on mérite. Dès lors, le débat pouvait s’instaurer entre l’auteur et les lecteurs, quelques idées commençaient d’ailleurs à fuser.

Alors il semblât opportun aux organisateurs de nous payer le verre de l’amitié, sous forme d’un jus de fruit tiède autour de pauvres chips molles... Durant cette fastueuse collation, je me rendis disponible pour dédicacer les quelques exemplaires de livres distribués aux enchristés.

Lui, il attendait un peu à l’écart, sans rien dire à personne, en attendant que ses codétenus aient fait signer leur exemplaire. Puis, alors que je rangeais mon stylo, il s’approcha timidement pour me dire : « j’ai oublié votre livre dans la cellule, alors est-ce que vous pouvez me faire une signature sur n’importe quoi, je le mettrai dedans après ». J’ai trouvé un quelconque support et lui demandai son prénom pour attaquer mon œuvre. C’est là qu’il m’expliqua : « Vous savez, moi j’ai bien aimé votre livre, ça me parle. J’ai pas fini de le lire et j’ai pas tout compris. Mais j’y arriverai et puis vous savez, je vais le garder et je le relirai dehors, parce que dehors, ça doit encore mieux et puis vous savez, depuis que je suis ici, c’est le premier truc que je possède. C’est le seul truc qui soit à moi, vraiment à moi et quand je sortirai, ils ne me laisseront que ça. Le reste, c’est à eux. Alors, quand j’aurai une femme et des enfants, je leur ferai lire, pour qu’ils comprennent et je leur dirai que c’est mon livre, à moi. »


« C’est le seul truc qui soit à moi, vraiment à moi et quand je sortirai, ils ne me laisseront que ça. Le reste, c’est à eux.»

Ma dédicace fut un peu longue... J’ai laisser couler mon cœur dans l’encre, ou le contraire, je sais plus. Je ne sais plus ce que j’ai écris, mais je sais que c’était nul, par rapport à ce que Lui m’a mis dans le cœur ce jour-là ! Si d’un simple bouquin, écrit de bric et broc, on peut faire d’un zonzard un « propriétaire » plein d’espoir pour l’avenir, ben écrire c’est un chouette truc et écrire pour lui, une raison d’être.

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