vendredi 5 octobre 2018

Le vieux

Il n’habite pas en haut.
En haut y a que des gens qui font du ski, des gens qui font du bruit. Ni en bas. En bas y a que de la crasse, l’échappement des voitures et des gens qui courent dans tous les sens.
Et lui, il n’aime pas ça, les gens.

Il m’invite à bouffer une fois par mois. On bouffe du lapin, du poulet ou de l’agneau. On bouffe ses animaux. Un jour on bouffera son chien, tellement il a besoin de rien.

Le vieux, je l’ai trouvé par hasard, un jour où je n’avais pas envie d’arriver, d’aller jusqu’en haut. Je me suis arrêté à mi chemin, là où on passe trop vite quand on monte au ski. C’est là qu’il vit, là où on ne le voit pas. Et comme il a vu que je ne lui demandais rien, il est venu me demander ce que je voulais. Il est comme ça, le vieux. Quand tu veux rien, il donne tout. Quand tu veux tout, t’aura rien. 

Il ne faut pas qu’il boive d’alcool ni qu’il fume de clope. Il a le cœur fatigué disent les médecins. Pas par l’amour, qu’il rajoute. Alors on boit qu’un apéro. Un demi verre de Ricard, dans un grand verre et un peu d’eau, mais pas trop et un glaçon qu’il te sert avec ses gros doigts sales.

Pendant qu’on bouffe, chez lui on mange pas, on bouffe, c’est pas pareil. Pendant qu’on bouffe, il bougonne contre les gens. Ceux d’en bas qui puent la crasse, le pot d’échappement des bagnoles et contre ceux d’en haut qui font du fric facile en louant des skis à ceux d’en bas. Et puis on bouffe, on bouffe et on bouffe. Mais plus il bouffe moins il bougonne. Moins il bougonne plus il a sommeil.

Alors quand il a trop bouffé, il me fout dehors, parce que c’est l’heure de la sieste. C’est qu’il a le cœur fragile, qu’ils lui ont dit, les médecins. Il faut qu’il se repose. Mais avant de partir, il m’offre la goutte. Une gnôle qu’il fait lui, avec ses fruits et puis des plantes. Un plein verre de cuisine, cul sec, parce qu’il faut plus qu’il boive d’alcool, à cause de son cœur... Mais cette histoire de cœur, ça le fatigue. Combien de temps ça va durer, il me demande.

Je lui dis que j’espère longtemps, parce que j’aime bien m’arrêter manger chez mon vieux. Ça le fait rire et il me dit que je suis bien aussi con que les autres et je t’appelle quand j’ai un bon quelque chose à manger en me claquant la porte sur la gueule.

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